Pour beaucoup de personnes – souvent non initiées -, les joueurs professionnels sont tous millionnaires et vivent comme des ballas. Pourtant, il suffit de se pencher un peu sur la question pour constater que c’est loin d’être le cas. Prenez David « Chino » Rheem par exemple. Ce joueur américain est très talentueux. Il a même remporté il y a quelques jours la première étape de l’Epic Poker League pour un gain d’un million de dollars. Jusque-là, tout va bien.
Le problème survient quand on apprend que l’ancien November Nine (en 2008) a emprunté énormément d’argent à d’autres joueurs et qu’après avoir remboursé ses dettes (parfois sous la menace), il devrait lui rester à peine 10 % de son prix. Un peu triste non ? Mais ce qui est encore plus triste, c’est que Chino Rheem ne serait pas le seul à vivre à crédit, loin de là.
Pour illustrer les difficultés que peuvent rencontrer certains joueurs, je vous invite également à visionner la dernière semaine de Poker After Dark. La line up est certes composée des plus gros nits de la planète (hormis Peter Jetten), mais elle nous propose une approche du poker assez intéressante et très loin des affrontements sanglants entre Tom Dwan, Phil Ivey et Patrik Antonius. A mon sens, le symbole de cette partie est Jean-Robert Bellande. Au début, j’étais surpris de le voir disputer une aussi grosse partie dans la mesure où son dernier passage dans l’émission (au format classique Sit’n Go) nous avait montré l’Américain très affecté par la perte d’un coin flip (certes, il flop son brelan et perd face à une gutshot, mais ça reste un 50/50). Mon opinion à ce moment-là était qu’un SNG à 20 000 dollars représentait quelque chose de très important pour lui.
Du coup, le voir s’asseoir de nouveau à cette table avec 100 000 dollars était plutôt surprenant. Et au fur et à mesure de mon visionnage, plusieurs sentiments se sont succédés. Les voici :
1) « Regardez moi ce gros balourd qui se la pète avec ses histoires à la con, ses rires gras et qui se permet de prendre de haut Peter Jetten quand ce dernier double son tapis et prend une petite pause ».
2) « Non seulement il se la pète, mais en plus il est pas bon. Chaque décision a l’air d’être une souffrance pour lui. Il maîtrise peut-être plusieurs variantes, mais le Hold’em No Limit, il faut qu’il arrête ».
3) « Ah ouais quand même ! Il est nul, mais au moins il est honnête sur sa situation. Pour lui, jouer une telle partie revient à se mettre en danger et il l’admet volontiers. Il me fait presque de la peine maintenant. »
Si vous décidez de regarder ces épisodes, je vais vous spoiler un petit peu. D’avance désolé. Les points 1) et 2) ne nécessitent pas vraiment de développement. Le 3) en revanche mérite qu’on s’y attarde. Pour mieux comprendre, voici la main sur laquelle Jean-Robert Bellande perd presque tout son stack (vous noterez au passage la grande classe dont fait preuve une nouvelle fois Phil Hellmuth).
Deux choses m’ont choqué : le play vraiment douteux (« douteux » étant la version polie de « à chier ») et l’interview qui suit (pas présente dans l’extrait ci-dessus). Dans cette main, Bellande a tout faux. Si le flat au bouton se tient, son New York Back Raise est à mon sens très mauvais. En gros, il cherche à représenter AA ou KK. Mais aurait-il overcall au bouton une telle main en sachant que les blinds n’allaient squeeze qu’avec une premium et risqué ainsi un multiway avec les as ou les rois ? Clairement non. Du coup, il représente exactement ce qu'il a (AQ, TT/JJ). De plus, le squeezeur se nomme Chris Ferguson, l’empereur des barres d’acier. Quand « Jesus » 3bet dans 3 joueurs, la logique est de partir en courant, même avec AQ. Enfin, le sizing de Jean-Robert est lui aussi très mauvais. Il se commit (et le montre). Avec AA ou KK, aurait-il vraiment envie de chasser son adversaire ? Vous connaissez la réponse.
Néanmoins, ce grand couillon trouve le moyen de se refaire une image (à mes yeux en tout cas) dans l’interview d’adieu. Il avoue ainsi que sa bankroll ne lui permet théoriquement de jouer qu’en 10/20 (NL2000) et qu’une telle partie est très au-dessus de ses moyens. « Quand les autres joueurs perdent leur tapis, ils peuvent recaver. Pas moi », déclare-t-il. Ca a le mérite d’être honnête. Et presque triste...
En bref, ne croyez pas que les joueurs de poker – y compris les plus réputés – sont tous riches et peuvent se permettre de perdre des millions sans sourciller. Je pense que c’est une des idées reçues les plus répandues, surtout parmi ceux qui connaissent mal ce milieu.
Si ce papier (un peu long, désolé ^^) a pu aider certains d’entre vous à mieux percevoir les acteurs qui composent ce monde très particulier, alors tant mieux. Sinon, le débat reste évidemment ouvert. J